Filtrées par les couches géologiques et volcaniques, les eaux minérales naturelles, chaudes et pétillantes de la cité bourbonnaise au bord de l’Allier, sont connues pour leurs bienfaits depuis l’Antiquité. Dès la Renaissance, les traités médicaux décrivent les bonnes pratiques pour prendre les eaux, sous forme de bains, douches, inhalations… À Vichy, c’est la spécificité de ses eaux “à boire” et surtout la pratique curative qui va générer sa forme urbaine unique au point de devenir l’élément central du paysage de la cité thermale et balnéaire. Au fil des choix politiques et des modes, entre sources et plan d’eau, l’or bleu de la ville a été fondateur et formateur de ce territoire/paysage en perpétuel mouvement.
De l’eau médicale au paysage thérapeutique
Dès le XVIIe siècle, la marche est fortement conseillée pour aider à digérer ses eaux aux vertus médicales exceptionnelles mais « lourdes comme des pierres qui restent sur l’estomac » comme le dira plus tard Montalembert. Cette pratique va influencer dans un premier temps l’architecture des établissements thermaux avant d’influencer la forme urbaine de la ville.
Le simple édicule à deux bains du pavillon du Roy construit vers 1630 se transforme en établissement thermal en 1785 selon le projet de l’architecte Jeanson. Les prémices de ce qui sera une signature vichyssoise apparaissent : une longue galerie souhaitée « afin que les buveurs d’eau fussent abrités dans l’exercice qu’ils devaient prendre pour faciliter la digestion des eaux qu’ils buvaient ».
Côté extérieur, le dessin d’un parc va être conçu puis réalisé vers 1812 pour permettre à la fois cette marche d’ordonnance médicale, ancêtre de notre marche sportive, et le besoin de déambuler entre les différents lieux de « prise d’eaux » répartis à l’époque entre Vichy-la-ville (cœur médiéval) et le hameau de Vichy-les-bains (sur l’ancien secteur antique). Ce sera la naissance du Parc des Sources, premier paysage thérapeutique de Vichy.
L’hôtellerie naissante au début du XIXe siècle va naturellement venir s’installer au plus près de ce triangle de pratique curative. Le parc verra ses promenades périphériques se couvrir de galeries pour mettre à l’abri les curistes de ces hôtels de luxe, leur permettant de rejoindre les établissements thermaux par tous les temps. Pour empêcher l’oisiveté du curiste entre leur prise d’eaux, le divertissement de l’esprit devient aussi une prescription médicale. Bals et concerts se jouant dans les salons des thermes, le parc devient rapidement le théâtre de la vie mondaine et la marche curative devient promenade d’apparat.
Une reine par décret impérial
Au milieu du XIXe siècle, Napoléon III souhaite développer une cité thermale française pour concurrencer les villes d’eaux allemandes et autrichiennes alors en vogue. Entre 1859 et 1861, une série de décrets va permettre à ce terrain de jeu expérimental de devenir la « reine des villes d’eaux ».
En complément des thermes reconnus pour la très grande qualité de leurs soins curatifs, les décrets signés de l’empereur permettront d’incorporer les ingrédients indispensables à une ville d’eaux du XIXe siècle : plan d’eau, gare et casino. La digue de protection contre les crues de la rivière Allier permet la création de vastes jardins romantiques ainsi que de nouveaux quartiers à urbaniser. Une fois le cours d’eau stabilisé, un barrage à aiguilles s’envisage et permet la création d’un plan d’eau avec d’abord ses activités ludiques puis sportives dès 1889. Le transport fluvial est gêné par ce barrage. Un nouveau moyen de transport est nécessaire. La création de la gare de Vichy impose le prolongement d’une ligne de chemin de fer passant à dix kilomètres au nord. Cette ligne intégrera ensuite la célèbre compagnie du “Paris-Lyon-Marseille”. La décision d’implanter un casino, lieu de jeux et de divertissements aristocratiques dissocié des thermes, permettra à Vichy d’attirer les curistes en quête de soins, de bien-être et de nouveaux loisirs. Grâce à la gare, ils arriveront du monde entier. La reine des villes d’eaux va alors connaître un développement fulgurant, un âge d’or qui, grâce à l’excellence de ses soins et de son cadre de vie, lui permettra de briller durant cent ans sur la scène internationale du thermalisme.
L’effervescence architecturale
Avec la pratique touristique qui se développe, Vichy, comme toute ville d’eaux de cette fin de XIXe siècle, fonctionne à la saison estivale. Le visage de la ville va s’enrichir chaque année de nouveaux décors, de fantaisies éclectiques ou pittoresques aux références multiples. Ainsi, aux façades sobres et cohérentes de style traditionnel qui composaient jusqu’alors la ville et toute la couronne construite autour du parc des Sources, succèdent rapidement des façades de compositions savantes, du néo-médiéval au néo-classique, en passant par des styles régionalistes, parfois exotiques pour enchanter le voyageur venu prendre ses eaux curatives pour quelques semaines. Apparaissent des villas flamande, vénitienne, tunisienne, des effigies mésopotamiennes sur l’opéra, un dôme oriental aux thermes de luxe.
Les références à l’eau dans l’architecture s’affichent au tournant du siècle. Des sculptures et autres représentations artistiques rendent gloire à cet or bleu dans l’espace public, sur les façades d’hôtels, d’immeubles, dans les décors intérieurs privés, publics ou encore religieux. Protégeant les griffons, des écrins en cristal de roche magnifient l’eau salvatrice. Célébrée dans la ville par toute une expression architecturale rendant hommage à ses vertus soignantes, l’eau est vitale pour le développement économique de la cité. Le cœur de ce système économique est évidemment le domaine thermal centré sur le parc des sources. Sublimé en 1901 par un projet teinté d’Art nouveau, il résume à lui seul l’essence même du thermalisme au tournant du siècle : lieux de soin (sources et établissements thermaux de 1ere, 2e et 3e classe), lieu de promenade (parc des Sources et ses galeries-promenoirs), lieu de divertissement et de loisir (casino, opéra, kiosques à musique), et lieu de vie (boutiques du fer à cheval). N’oublions pas les hôtels de luxe en bordures du parc, autant de joyaux architecturaux rivalisant de modernité et de fastes ostentatoires.De la thérapie aux loisirs, il y a qu’un plan d’eau
Le plan d’eau, lui, va apporter toute la dimension de loisirs et de grand paysage nécessaire à une cité balnéaire. C’est en premier lieu des activités ludiques (canotage), puis sportives (aviron) qui s’y développent. Sur les berges, face à Vichy, de vastes terrains permettent d’implanter les sports en vogue à la belle époque et nécessaires à toutes villes d’eaux mondaines (hippodrome, tir aux pigeons, golf, tennis…).Très vite, une passerelle, installée au-dessus du barrage à aiguilles, permettra de joindre l’utile promenade digestive à l’agréable et ludique détente offerte par ces loisirs aristocratiques. C’est un second et grand paysage thérapeutique qui se met en place tout autour du plan d’eau sur l’Allier.Réservé à l’élite jusqu’au déclin du thermalisme, le plateau sportif s’ouvre aux pratiques populaires après-guerre avec l’installation d’une piscine municipale, d’un centre omnisport puis du Creps. L’agrandissement du plan d’eau en lac d’Allier favorise les compétitions de sports nautiques de niveau international. De nouveaux aménagements sont alors commandés : du palais du Lac pour l’aviron à la base nautique de la Rotonde, en passant par le nouveau quartier d’habitation des Ailes et des centres culturels pour la jeunesse. Tous ces équipements sont aujourd’hui témoins de gestes architecturaux forts composés avec et pour le grand paysage aquatique.
La requalification des berges entre 2014 et 2019 a été l’occasion d’offrir aux promeneurs quatre kilomètres de promenade sur berges re-naturées, jalonnées d’équipements ludiques et sportifs venant compléter les treize hectares de parcs romantiques du XIXe siècle au-dessus les digues napoléoniennes. L’actuelle pratique du “sport bien-être” répond au besoin sociétal contemporain, renforcé dernièrement par l’effet Covid 19. Ainsi, la marche promenade du parc des Sources, pratique ancestrale nécessaire à la prise des eaux, n’a cessé de se développer.
Et demain ?
Des projets d’envergure s’amorcent actuellement. La requalification du plateau sportif comme “terre des JO 2024”, la restauration du parc des Sources, la restructuration des établissements thermaux et l’évolution des soins avec France Thermes, et les aménagements environnants qui en découleront, offriront les prochains visages de la cité thermale, un challenge !
Les onze “Great Spa Towns of Europe” dont fait partie Vichy ont déposé le 22 janvier 2019 une candidature commune auprès de l’Unesco pour faire reconnaître comme patrimoine mondial de l’humanité leurs richesses si particulières1 alliant l’art de vivre des villes d’eaux à la science du soin thermal européen.
Enjeu d’une telle candidature, la question de l’authenticité et l’intégrité du cœur du bien et de tout son tissu patrimonial devient central. Comment le réceptionne-t-on aujourd’hui dans cette ville aux richesses passées malmenées depuis la déprise économique des cinquante dernières années ? Quelle part de l’héritage acceptons-nous collectivement de sauver, de soigner, de restaurer, d’entretenir, de valoriser, de connaître et de transmettre ? Comment les projets à venir s’inscriront-ils dans cet héritage ? Quelle valeur ajoutée apporteront-ils à cette fulgurante et riche histoire architecturale et paysagère autour des eaux et de leurs pratiques sociales ?
Avec un devoir de mémoire désormais obligatoire, la reconnaissance comme patrimoine mondial forcent les nouveaux édiles à des projets vertueux pour respecter, préserver, faire comprendre et mettre en valeur ce patrimoine d’hier tout en veillant à la création du patrimoine de demain. Révéler à la juste mesure cette “reine des villes d’eaux” devient l’enjeu d’avenir.
Quelques références bibliographiques
- GELIN, Fabienne, Il était une fois la reine des villes d’eaux, catalogue d’exposition, Vichy, Vichy destination, 2020, 224p
- TOULIER, Bernard, Vichy, une « gare thermale » oubliée, in Sites et Monuments, 2020, n°227
- RENAULT, Delphine (dir.) Vichy, ville d’eaux, Lyon, Lieux-dits édition, 2019, 144p
- COUSSEAU, Jacques, Palaces et grands Hôtels de Vichy, 2 tomes, Ed de la Montmarie, 2007-2009
- CHAMBRIARD Pascal, Aux sources de Vichy, Bleu Autour, 1999, 214p
Revue de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Vichy et des Environs (SHAVE)
- Ndr : Le 24 juillet 2021, le comité du Patrimoine mondial de l’Unesco a retenu la candidature des grandes villes d’eaux d’Europe, dont Vichy, et les a inscrites sur sa fameuse liste. ↩